L’impossible prévision de l’économie pour 2021 ? Incertitudes, rêves et cauchemars dans l’analyse de la situation économique française
T.R.
Billet en accès libre et en intégralité sur le blog Alternatives Économiques.
La mise en place de confinements dans de nombreux pays en mars 2020 a plongé les commentateurs habitués de la conjoncture économique dans une obscurité presque inédite. L’économie tournait au ralenti, certains ont parlé de « congélation » tandis que d’autres préféraient le récit d’une double perturbation : choc d’offre et choc de demande (Boyer, 2020). On ne peut que saluer, dans ce contexte chaotique, la lucidité et les efforts des instituts de prévision et d’analyse économique qui, seulement deux semaines après les annonces gouvernementales, proposaient une première estimation de la chute d’activité (Département analyse et prévision de l’OFCE, 2020 ; INSEE, 2020). Puis vinrent progressivement les premières prévisions du Produit Intérieur Brut (PIB) et de sa variation pour les deux derniers trimestres de 2020, tandis que certains s’aventuraient alors à des prévisions pour 2022.
Les premières estimations de l’OFCE et de l’INSEE sur la chute d’activité se sont avérées finalement assez bonnes et même excellentes si l’on prend en considération la situation dans laquelle elles ont été produites. Pour les prévisions, c’est un peu plus compliqué. L’INSEE ne s’y est pas risquée et a privilégié des publications se rapprochant d’une prévision en temps réel qui réduit l’horizon temporel de la projection. En effet, rythmées par les annonces gouvernementales et les évolutions de la situation sanitaire, les prévisions économiques ne pouvaient qu’être modifiées très régulièrement ou prendre la forme de scénario.
C’est tout le paradoxe de l’information en situation de crise : la demande de prévisions et d’analyses augmente tandis que les conditions de l’offre rendent difficiles leur production. Ces chiffres sont évidemment importants pour les acteurs économiques puisque ces derniers ont besoin de voir clair pour investir et développer des projets à moyen et long termes. Mais ils le sont tout autant pour les acteurs politiques, et ce pour deux raisons. La première est plutôt intuitive : la mise en place d’une politique économique implique que les décideurs jouent un rôle économique en organisant et rationalisant les choix de l’acteur majeur qu’est l’État. La seconde, plus rarement explicitée, est que les données prévisionnelles en particulier et les statistiques économiques en général constituent un critère central de l’évaluation des dirigeants en place, et, à ce titre, jouent un rôle considérable dans les processus électoraux (sur ces questions, voir Soroka et al., 2015). Ainsi, à l’approche des élections présidentielles de 2022 en France, on comprend l’enjeu intrinsèquement politique des prévisions économiques pour 2021 et 2022. Dans un récent tweet, Nathalie Loiseau, député européenne, utilisait par exemple les dernières prévisions de croissance de la Commission Européenne pour s’opposer à l’idée que la France « est un pays qui rate tout » (sic).
Mais au-delà de l’usage politique et discursif, n’y a-t-il pas du politique au cœur même de la construction du chiffre, en amont de sa décision ? Dans quelle mesure peut-on appréhender la prévision économique comme un phénomène socio-politique qui dépasse le cadre purement technique des difficultés de modélisation en situation d’incertitude ? C’est ce point que nous nous proposons de creuser dans cet article de blog.