Le 17 octobre 2007, lors de la journée mondiale du refus de la misère, le président de la République s’est engagé à réduire la pauvreté d’au moins un tiers d’ici à 2012. Cette mission a été confiée au Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, Martin Hirsch. Depuis, un plan de refonte des minima sociaux autour du Revenu de solidarité active a été élaboré, qui devrait être soumis au Parlement à l’automne 2008. Les questions de pauvreté sont revenues sur la scène politique, et on ne peut que s’en réjouir. Cependant, la façon dont elles sont traitées et la confusion entretenue dans le débat public laissent parfois dans l’ombre les enjeux essentiels. Ce numéro de Regards croisés sur l’économie propose de réunir les savoirs élaborés par les sciences sociales, au premier rang desquelles, sur ce sujet, la sociologie et l’économie. Ils ouvrent des perspectives nouvelles pour en finir avec la « pauvreté dans l’abondance », selon le mot de Keynes. Leur logique est simple : pour en finir avec la pauvreté, il faut d’abord savoir la définir, donc la mesurer ; il faut ensuite comprendre ses mécanismes; il faut enfin élaborer des politiques publiques pertinentes pour la combattre.

Cette simplicité est souvent occultée par la multiplicité des termes dans lesquels sont menées les réflexions et conçues les politiques. Exclusion, pauvreté et précarité sont ainsi des notions tantôt confondues, tantôt disjointes. La thématique de l’exclusion a fait irruption dans le débat public au cours des années 1970, alors qu’on parlait encore d’« inadaptés » ou d’« handicapés sociaux » pour désigner les laissés-pour-compte de la croissance et du progrès technique des Trente glorieuses. Avec son caractère nébuleux et ses contours flous, il n’est toutefois pas aisé de savoir ce qu’elle recouvre. Cette imprécision a sans doute servi son succès et son institutionnalisation. Ne parle-t-on pas davantage des « exclus » que des « pauvres » ? Toujours est-il que la notion d’exclusion nous semble moins pertinente aujourd’hui pour mener une réflexion orientée vers l’action politique.

En effet, la pauvreté, si elle a pu un temps n’être appréhendée que comme un simple dénuement matériel, est aujourd’hui étendue à bien d’autres dimensions du bien-être et de l’inclusion sociale. Cette notion a surtout le grand mérite de s’appuyer sur un outillage statistique riche et toujours plus pointu.

Ainsi, en 2006, selon la nouvelle enquête de l’Insee sur les revenus, 13,2 % de la population française vivait sous le seuil de pauvreté, soit plus de 7,8 millions de personnes dont le niveau de vie mensuel était inférieur à 880 euros. Au sein de l’Union européenne, la France occupait une position intermédiaire entre les pays du Nord de l’Europe, et les pays du Sud et anglo-saxons, le taux de pauvreté s’élevant à 20 % en Espagne et 19 % au Royaume-Uni. Cependant, l’Hexagone demeurait au premier rang des pays européens qui craignent la pauvreté : 86 % des Français estiment qu’il peut arriver à n’importe qui d’en faire l’expérience, selon l’Eurobaromètre 2006. Est-ce à dire que les statistiques mesurent mal la pauvreté ? La première partie de ce numéro revient sur la définition de ce phénomène complexe, ainsi que sur les progrès réalisés dans sa compréhension et sa mesure, dans ses dimensions économiques, mais aussi sociales, culturelles, psychologiques, et sanitaires.

Si la pauvreté frappait d’abord autrefois les retraités, elle touche aujourd’hui de plus en plus les citadins, les travailleurs et les jeunes. La tendance longue à la baisse de la pauvreté et des inégalités s’est arrêtée depuis 2002. La seconde partie revient sur les mécanismes qui expliquent ces bouleversements. Même si les expériences de la pauvreté sont hétérogènes, quelques faits marquants se distinguent : hausse du surendettement, baisse du pouvoir d’achat des minima sociaux, phénomènes de reproduction entre générations, et – transformation majeure depuis les Trente glorieuses – apparition, dans les pays riches, des travailleurs pauvres.

L’instauration du Revenu de solidarité active (RSA) vise précisément à répondre à ce dernier défi, en faisant en sorte que le travail « paye » toujours. Cependant, tous s’accordent à dire qu’il ne s’agit pas d’un remède miracle. Le gouvernement en attend une baisse d’au moins un point du taux de pauvreté. Ses détracteurs soulignent qu’il n’améliorera pas le sort des inactifs, et qu’il risque d’encourager le travail précaire. La troisième partie de ce numéro s’attache à présenter le débat actuel, en le replaçant dans un demi-siècle de lutte contre la pauvreté, en France comme dans les autres pays développés

Les auteurs

Du revenu aux dotations : le renouvellement des conceptions de la pauvreté – François Bourguignon

La transmission intergénérationnelle de la pauvreté – Michel Dollé

La pauvreté ne reculera pas d’ici 2012, en dépit du RSA – Jean Gadrey

Pour un revenu de solidarité active – Martin Hirsch

Le logement, une dimension de la pauvreté en conditions de vie – Maryse Marpsat

Du welfare au workfare : les transformations des politiques de lutte contre la pauvreté – Bruno Palier

Les pauvres, des acteurs de la lutte contre la pauvreté ? – Emmanuel Pierru

Pauvreté et exclusion : des nouvelles catégories de l’Etat social – Frédéric Viguier

La lutte contre la « grande pauvreté » : un marché ? – Patrick Bruneteaux

RMI : retour sur un tournant des politiques d’insertion – Nicolas Duvoux

Que sait-on des trajectoires de pauvreté dans les pays riches ? – Bernard Gazier

Pourquoi le travail ne protège plus de la pauvreté – Yannick L’Horty

Des pauvres aux riches, la question des inégalités – Louis Maurin

Les formes de la pauvreté en Europe – Serge Paugam

Que sait-on des trajectoires de pauvreté dans les pays riches ? – Catherine Pollak

Pauvreté et justice sociale : l’optique libertarienne et conservatrice de Charles Murray – Julien Damon

Une histoire de la pauvreté et des stratégies de survie – Laurence Fontaine

La pauvreté dans les sociétés financiarisées – Georges Goukoviezoff

La pauvreté : définitions et mesures – Stéfan Lollivier

Territoires de la pauvreté : les dynamiques de fragilisation des espaces – Christophe Noyé

Lutte contre la pauvreté : la France sur les traces de l’Oncle Sam ? – Hélène Périvier

Prestations et minima sociaux : la question des indexations – Henri Sterdyniak