Sans conteste, l’enseignement supérieur est moins injuste qu’il ne l’était par le passé. Tout au long du second XXe siècle, la politique d’expansion scolaire a permis à une part sans cesse croissante de jeunes générations de poursuivre des études supérieures et d’accéder à des niveaux de diplômes de plus en plus élevés. Pour autant, d’importantes inégalités demeurent. Les parcours des étudiants sont ponctués d’injustices, et ceci dès leur orientation post-baccalauréat. Les chiffres du ministère de l’Éducation nationale sont sans appel : les enfants de cadres représentent 55 % des élèves des classes préparatoires aux grandes écoles contre 9 % des enfants d’ouvrier. Pour les étudiants défavorisés, les difficultés se poursuivent ensuite tout au long de leur premier cycle universitaire. Seulement 20 % d’entre eux obtiennent leur licence en trois ans, contre plus de 30 % des étudiants favorisés. En cause : orientation ratée, mais aussi difficultés financières accrues. Le phénomène du travail salarié des étudiants s’est considérablement aggravé au point qu’il concerne aujourd’hui près d’un étudiant sur deux. Les étudiants les plus défavorisés figurent parmi les plus touchés, d’autant plus que les montants des bourses sur critères sociaux sont largement insuffisants.
Sur tous ces points, il est possible de progresser. Il est possible de réduire les inégalités face à l’orientation en introduisant davantage de transparence dans le logiciel d’affectation, encore très opaque, Admission Post-Bac. Il est aussi possible de réduire ces inégalités grâce à des dispositifs ciblés fournissant davantage d’information et de suivi aux élèves défavorisés, leur permettant ainsi de faire des choix d’orientation plus éclairés. Il est possible de réduire les difficultés financières des étudiants défavorisés avec des moyens de financement innovants, tels que les prêts publics à remboursement contingents au revenu. Avec ces prêts, gérés par l’État, les annuités ne sont pas définies à l’avance sur la base des sommes empruntées, mais déterminées à partir du revenu courant de l’ancien étudiant. Un des intérêts majeurs de ce dispositif est son équité : ceux qui ont les revenus courants les plus élevés – c’est-à-dire ceux qui ont le plus bénéficié du système d’enseignement supérieur – sont aussi ceux qui contribuent le plus.
Ce numéro de Regards croisés sur l’économie vous invite à la découverte de tous derniers résultats de la recherche en sciences sociales et, ce faisant, dessine des pistes concrètes et ambitieuses pour repenser notre système d’enseignement supérieur et sa place dans la société de demain.
Les auteurs
Tous dans le « supérieur » ? – Stéphane Beaud, Fabien Truong
La métamorphose de l’enseignement supérieur au XXe siècle : perspective historique – Christophe Charle
Universités et grandes écoles. Perspectives historiques sur une singularité française – Guillaume Tronchet
De « bons » élèves ? Comment décroche-t-on une licence à l’université – Cédric Hugrée
Quels sont les déterminants des choix d’orientation dans l’enseignement supérieur ? – Arnaud Maurel
Les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur. Quel rôle joue le lycée d’origine des futurs étudiants ? – Agnès van Zanten
L’orientation active : une aide efficace pour choisir ses études ? – Nicolas Pistolesi
L’échec en licence pour cause d’excès de travail… salarié – Jekaterina Dmitrijeva, Loïc Du Parquet, Yannick L’Horty, Pascale Petit
Quels sont les effets de l’introduction de frais d’inscription dans les universités ? Une approche théorique et empirique – Léonard Moulin
Quel est l’impact de la hausse des frais d’inscription sur l’accès à l’université ? L’exemple du Québec – Pierre Doray, Benoît Laplante, Nicolas Bastien
La crise du financement des universités françaises. Impôt sur le revenu des anciens étudiants ou prêt à remboursement contingent ? – Robert Gary-Bobo, Alain Trannoy
Les prêts à remboursement contingent au revenu peuvent-ils réduire les inégalités dans l’enseignement supérieur ? – Pierre Courtioux
Peut-on parler d’égalité des chances dans les carrières universitaires en France ? – Christine Musselin
Le réformisme conservateur. Examen de quelques paradoxes des analyses et des réformes contemporaines de l’enseignement supérieur – Romuald Bodin, Sophie Orange
L’éducation numérique peut-elle réduire les inégalités dans l’enseignement supérieur ? – Arnaud Riegert