« Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies » déclarait Antoine Petit, Président Directeur Général du CNRS le 26 novembre 2019. Par ces mots, il illustrait à quel point la concurrence n’est pas un mode naturel d’organisation des rapports sociaux, qu’ils soient marchands ou non. Bien au contraire, ce n’est que parce qu’elle est instituée, à travers des luttes idéologiques, des institutions de régulation, des normes mais aussi des outils pratiques que la concurrence peut exister, pour le meilleur comme pour le pire.

Que faut-il entendre par concurrence ? Si l’on suit la définition proposée par George Stigler (1987), la concurrence renvoie à une situation de « rivalité entre des individus (ou des groupes, des nations), et elle survient lorsque deux ou plusieurs parties luttent pour obtenir quelque chose que tous ne peuvent avoir. » Il n’est pas étonnant que ce concept soit au cœur de la science économique, définie à l’envi comme science de l’allocation optimale des ressources dans un monde où elles sont de facto limitées.

Qu’elle soit parfaite ou imparfaite, effective ou potentielle, il s’agit de dépasser l’opposition stérile entre les tenants dogmatiques d’une concurrence idéalisée et leurs contradicteurs empiristes qui ont beau jeu de déclarer qu’elle n’existe pas en réalité. Face à ce défi vertigineux, nous avons décidé de concentrer notre regard sur la concurrence marchande.

Alors même que ses mérites sont tant vantés – de la maximisation du profit à la réduction des prix à la consommation, en passant par l’incitation à l’innovation – la concurrence est aujourd’hui questionnée en son royaume, les marchés. D’un côté, les niveaux de concentration des grandes entreprises atteignent des sommets aux États-Unis et en Chine. De l’autre, le modèle de « la concurrence libre et non faussée » de l’Union européenne se heurte au défi du numérique, de l’internationalisation accrue et, comme l’a révélé la crise sanitaire de la Covid-19, pose la question de sa souveraineté. Une conclusion s’impose : le cadre institutionnel de la concurrence marchande est en cause. Comme l’écrit Jean Tirole (2016), « la concurrence n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’un instrument au service de la société, et si elle conduit à des inefficacités, elle doit être écartée ou corrigée. » Faut-il dès lors souhaiter son extension ? La question qui se pose est davantage d’identifier les formes de concurrence, ou d’absence de concurrence, voire de coopération, qui correspondent à tel ou tel marché, telle ou telle sphère de la vie sociale. Cette interrogation a pour corollaire d’étudier les intérêts politiques ou idéologiques qui sous-tendent les choix économiques. En bref, d’ouvrir la boîte noire de la fabrique de la concurrence.

Ce numéro réunit économistes, sociologues et historiens dans le but de renouveler l’analyse de la concurrence, de la réencastrer dans ses règles, ses dogmes et ses institutions, seul moyen d’en comprendre les avantages, d’en contester les abus et d’en maîtriser les risques.

Dimitri Coste, Mathieu Sadourny et Madeleine Péron.

Les auteurs