Après un premier numéro consacré aux recettes de l’État, Regards croisés sur l’économie a choisi de s’attaquer au volet des dépenses publiques. Cette nouvelle aventure n’aurait pas été possible sans le soutien de nos lecteurs, qui ont été très nombreux à nous faire confiance quand nous avions encore tout à prouver. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés. Qu’ils sachent également que nous avons été attentifs à leurs remarques et critiques bien intentionnées. Le système de renvois internes a ainsi été amélioré. Nous avons accentué nos efforts de clarté et de lisibilité, afin de rendre accessible au plus grand nombre des débats trop souvent cantonnés à des cercles d’experts.

Nous tenons aussi à remercier les écoles et fondations qui nous ont épaulés, et sans lesquelles nous n’aurions pas pu lancer et proposer Regards croisés sur l’économie à un prix abordable. Rien n’aurait été possible non plus sans les auteurs qui ont accepté de contribuer à la revue, ni sans tous ceux qui ont donné de leur temps pour nous aider : tous ont montré une disponibilité qui révèle un fort investissement personnel dans leurs activités de recherche et d’enseignement.

En poursuivant notre analyse du système fiscal par une étude approfondie des services publics, nous espérons fournir à nos lecteurs toutes les clés pour comprendre l’État aujourd’hui, et compléter ainsi une réflexion sur les transformations d’un acteur dont la centralité et la légitimité sont remises en cause.

Cette motivation serait peu de chose si les services publics ne revenaient pas aujourd’hui au cœur du débat politique. L’élection présidentielle et ses lendemains ayant – à la surprise de beaucoup – largement fait place au débat fiscal, ce retour en force était hautement prévisible, et ne constitue très probablement qu’un début. Comment en effet parler baisses d’impôts et réformes du système fiscal sous contrainte d’équilibre budgétaire sans évoquer les nécessaires transformations parallèles de l’administration et des services publics ? Ces deux faces de l’intervention de l’État sont intimement liées : aucune révolution du système fiscal – dont on sait qu’il s’agit d’un des quatre objectifs donnés par le nouveau chef de l’État à sa ministre de l’économie, des finances et de l’emploi – ne peut se concevoir sans une réévaluation des objectifs et des moyens d’action des services publics. Il y fort à parier que cette réévaluation ne s’arrêtera pas à la seule question du service minimum.

Qu’on prenne un peu de recul sur les évolutions en cours pour en juger. Du côté des recettes, élargissements des assiettes et baisses des taux constituent clairement depuis les années 1980 le nouveau paradigme des réformes fiscales des pays développés, les phénomènes de fuite devant l’impôt (exode fiscal ou optimisation) accentuant la fragilisation des recettes des États. Parallèlement, les grands services publics en réseau (télécommunication, électricité, transports) ont progressivement été privatisés ; l’État s’est partiellement ou totalement désengagé du capital d’un grand nombre d’entreprises publiques ; et là où subsiste le secteur public, il a de plus en plus recours à l’initiative et aux capitaux privés. Dans les pays de l’OCDE, le désengagement de l’État des services publics a toujours suivi de très près la baisse des prélèvements obligatoires, qui permettaient de les financer.

Tout comme notre système fiscal est désormais programmé pour perdre sa spécificité et s’aligner sur celui des pays plus libéraux (évolution largement entamée avec le bouclier fiscal à 50 % et la quasi-suppression des droits de succession), le service public « à la française », longtemps objet de fierté nationale, est remis en question. Des privatisations à l’introduction des méthodes de management du privé dans le secteur public, en passant par la délégation de service public et les partenariats avec le privé, nos services publics sont en mutation. Les marchés protégés sont comme ailleurs libéralisés et ouverts à la concurrence. Dernier exemple en date : les particuliers ont depuis le 1er juillet la possibilité de se fournir en électricité chez un concurrent d’EDF, dont le capital a été ouvert et qui a perdu son statut d’établissement public. Faut-il se lamenter ou se réjouir des changements en cours et à venir ? Ce numéro se propose d’étudier la réorganisation des services publics : peut-elle se faire sans baisse de leur qualité, ni hausse des coûts, ni nouvelles inégalités d’accès pour les usagers ? On ne peut pas poser sérieusement la question ni tenter d’y apporter une réponse sans analyser toutes ses dimensions. Or les services publics sont un objet particulièrement complexe et multiforme : objet juridique insaisissable, aux frontières changeantes et influencées par de multiples acteurs (au premier rang desquels aujourd’hui la Commission européenne), ils ne se laissent pas enfermer dans une définition simple (Partie 1). S’opposent-ils à la logique marchande ou lui sont-ils complémentaires ? De nombreux exemples plaident d’un côté comme de l’autre, même si aujourd’hui de nouvelles voix s’élèvent pour dépasser l’opposition public-privé (Partie 2). Enfin, peut-on les réformer, et si oui com – ment ? Les réformes proposées par le nouveau gouvernement (service minimum, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux) devront être suivies à la loupe. Qu’elles aillent ou non dans le bon sens, rien ne nous garantit qu’elles épuisent la nécessaire modernisation de nos services publics (Partie 3).

Les auteurs

Les nouvelles frontières du service public – Jacques Chevallier

L’intérêt général dans l’union européenne – Eloi Laurent

Réflexions actuelles sur la notion de service public – Dorian Guinard

La construction d’un modèle français de service public avant 1914 – Claire Lemercier

Les transformations des services publics français au XXe siècle : quelques repères – Alain Chatriot

Europe et service public – Jean-Claude Boual

Ouverture à la concurrence et service universel : avancées ou reculs du service public ? – David Flacher

La privatisation des services publics : fondements et enjeux – Frédéric Marty

Les ouvertures de capital des entreprises publiques – Michel Durupty

Trente ans de déréglementation : quel bilan ? – Yves Crozet

Service public et marché – Yves Saless

Les grands défis de La Poste française – Jean-Paul Bailly

L’européanisation du service public postal – Pierre Bauby

Le service public de l’éducation face à la logique marchande – François Dubet

La gestion mixte des services publics – Arnaud Voisin

Confier les chômeurs au privé : leçons des expériences internationales – Nathalie Georges

La sous-traitance du service public au secteur privé – Anne Perrot

Evaluer les services publics : l’exemple de la santé – Stéphane Le Bouler

Le service public de la recherche en question – Jean-Paul Moatti

Peut-on réformer l’État avec les méthodes du privé ? – André Barilari

Réformer le service public de l’emploi : une fenêtre d’opportunité – Jean-Claude Barbier

Personnels et usagers des services publics : des relations transformées ? – Françoise Dreyfus

Le service minimum : la loi inutile – Anicet Le Pors

Service minimum : nos voisins l’ont instauré sans drame – Elisabeth Auvillain