L’économie de la santé n’est plus l’« économie médicale », expertise de médecins hospitaliers proches de la sphère publique, qu’elle était du sortir de la seconde guerre mondiale aux années 1970. C’est aujourd’hui une branche de la science économique, indépendante du corps médical, pratiquée majoritairement par des économistes professionnels. Elle suscite à ce titre des interrogations compréhensibles chez les personnels soignants, voire une défiance bien légitime quand sont à tort imposées en son nom des politiques inefficaces ou injustes.

C’est pourquoi nous souhaitons défendre brièvement, en guise de préambule, l’utilité et la pertinence d’une économie de la santé.

« La théorie économique ne fournit pas un ensemble de conclusions bien établies immédiatement applicables à la politique. C’est une méthode, plus qu’une doctrine, un appareil de l’esprit qui aide celui qui le possède à tirer les bonnes conclusions » (Keynes). Cette méthode part d’un constat : celui de la rareté des ressources – y compris du temps. Comme nos ressources sont rares, il faut penser à les allouer de la manière la plus efficace possible – c’est-à-dire de la façon qui satisfasse au mieux les désirs humains. Dans certains cas, les mécanismes de marché permettent d’atteindre cette efficacité. Mais pas dans le domaine de la santé, car les patients « consomment » un service dont la qualité ne leur est pas connue, et qu’ils ne payent pas directement.

Puisque le marché est mis en échec, il faut impérativement que le système de santé soit régulé par l’État. Mais quelle forme cette régulation doit-elle prendre ? Comment satisfaire au mieux les préférences, diverses voire contradictoires, des citoyens ? Tous n’accordent par le même prix à leur santé – les fumeurs certainement moins que les non-fumeurs, par exemple. Certains préféreraient plus de liberté – que les médecins puissent choisir en toutes circonstances leur lieu d’installation et leurs honoraires – ; d’autres plus d’égalité – que chacun, indépendamment de son revenu et de son lieu de résidence, bénéficie du même accès aux soins. Via la régulation, l’État tranche : en taxant certains produits comme le tabac, il sanctionne des comportements et en promeut d’autres ; en encadrant l’installation et les conditions d’exercice des médecins généralistes, il transforme l’accès aux soins ; en faisant évoluer la part de la couverture maladie qui est socialisée, il transfère des revenus entre les plus démunis et les plus aisés, etc. L’économie de la santé interroge ces choix, au regard de ce que l’on peut savoir des préférences individuelles et collectives : sont-ils efficaces ? Sont-ils équitables ?

Cette interrogation conduit à mettre aujourd’hui en lumière des dysfonctionnements, symptômes des défis majeurs auxquels sera confronté notre système de santé à l’avenir. Ces failles doivent susciter une discussion démocratique sur les chemins que nous voulons privilégier.

Les Français partagent ainsi largement le principe que l’organisation des soins devrait tendre à assurer l’égalité de chacun face à la maladie. Or, si les performances du système de santé sont bonnes dans l’ensemble, elles s’accompagnent d’inégalités marquées, et certaines progressent. Peut-on les réduire sans remettre à plat les principes de la médecine libérale ? (Partie 1).

Les inégalités sont alimentées par la transformation de l’assurance maladie de base, qui, en s’adaptant à la hausse rapide des dépenses de santé, perd progressivement sa cohésion. Quel taux de prélèvements obligatoires sommes-nous prêts à accepter pour financer la Sécurité sociale de demain ? (Partie 2).

Pour combler le déficit de l’assurance maladie, des gains d’efficacité doivent être recherchés, à la ville, comme à l’hôpital ; ils pourraient permettre de dégager des ressources nécessaires pour assurer la pérennité de la Sécurité sociale et réduire les inégalités. Comment rationaliser l’offre de soins et son pilotage ? (Partie 3).

Définir les problèmes du système de santé français aujourd’hui, établir des faits précis pour les documenter, et présenter les choix cruciaux auxquels nous sommes confrontés : voilà les ambitions de ce numéro de Regards croisés sur l’économie. Pour chacune d’entre elles, l’économie ne suffit pas : la démographie, la sociologie, l’histoire et la géographie sont donc également mobilisés.

Les auteurs

Un regard économique sur la santé au travail – Philippe Askenazy

Pour un bouclier sanitaire – Raoul Briet

Financement de l’assurance maladie et système de remboursement des soins – Gérard Cornilleau

La convergence tarifaire entre hôpitaux publics et privés : mission impossible ? – Gérard de Pouvourville

Concurrence en santé : marché des soins, marché de l’assurance – Pierre-Yves Geoffard

La régulation du prix du médicament en France – Valérie Paris

L’évaluation de la lutte anti-tabac : démêler une toile d’araignée avec des gants de boxe ? – Valérie Seror

La Haute autorité de santé au cœur des choix économiques – Daniel Benamouzig

Les nouvelles questions posées à la démographie médicale – Martine Burdillat

Réformes de l’hôpital : Quo Vadis ? – Jean de Kervasdoué

Les inégalités sociales face à la santé en France – Thibaut de Saint-Pol

Le vieillissement de la population va-t-il entraîner une explosion des dépenses de santé ? – Hélène Huber

L’évaluation de la lutte anti-tabac : démêler une toile d’araignée avec des gants de boxe ? – Patrick Peretti-Wattel

L’accès financier aux soins en France : bilan et perspective – Jérôme Wittwer

Secteur ambulatoire : des enjeux majeurs d’organisation et de régulation pour l’avenir – Yann Bourgueil

L’allongement de la vie et ses conséquences en France – Emmanuelle Cambois

Justice sociale et efficacité : pour une nouvelle régulation de la demande de soins – Grégoire de Lagasnerie

Un système si parfait… – Brigitte Dormont

L’Etat, au cœur de la régulation des comportements et des soins – Jean-Marie Le Guen

L’allongement de la vie et ses conséquences en France – France Meslée, Gilles Pison

Faut-il remettre en cause le paiement à l’acte des médecins ? – Anne-Laure Samson