L’équipe de Regards croisés sur l’économie a été à la hauteur de la mission de la revue : on trouvera, à côté de points de vue économiques divers à propos de la dette, une analyse et des exemples historiques ainsi qu’une analyse sociopolitique à propos de l’apparition de celle-ci dans l’agenda politique et médiatique. Le titre de ce numéro prend le contre-pied des interrogations habituelles qui portent le plus souvent sur la soutenabilité de la dette ou sur les moyens de la rembourser. Il est d’entrée un peu provocant : « faut-il rembourser la dette ? ». L’évocation du défaut de paiement ne sera ainsi pas taboue. La revue s’ouvre d’ailleurs sur un dialogue imaginaire où des contradicteurs s’affrontent à Ramel, ministre des Finances du Directoire, qui en 1797 avait annulé les deux tiers de la dette française. La fraîcheur de ton n’a rien à envier à la pièce de théâtre à laquelle s’était essayé l’économiste Frédéric Lordon.

Pour entrer dans le sujet de la dette, plusieurs articles expliquent comment les États s’endettent et avec quelles contraintes ils doivent composer, notamment la logique des marchés financiers. Juan Flores présente de façon éclairante les mécanismes de placement des obligations d’État françaises1. Par ailleurs, il montre les différentes mesures concernant la prévention des défauts de remboursement prises par les États afin qu’ils puissent continuer à emprunter dans le futur sur les marchés financiers. Dans cette perspective, l’article de Xavier Debrun appuie la position de nombreux économistes en insistant sur les règles budgétaires à rendre indépendantes des changements politiques (type « règle d’or ») comme moyen de rassurer les marchés et de continuer à pouvoir à s’endetter à des taux faibles. L’entretien avec Guntram Wolff redonne à voir la spécificité du cadre de l’Union Européenne dans lequel la dette des États-membres s’est construite. Ces derniers se sont donnés des règles supranationales inscrites dans les traités : le budget des États est contraint par un niveau de dette maximum à ne pas dépasser conformément au Pacte de Stabilité ; un emprunt direct auprès de la Banque Centrale n’est plus possible alors qu’il le reste aux Etats-Unis, et, enfin, la dette d’un État-membre reste un problème strictement national car elle ne peut pas être diminuée via des transferts issus des autres États-membres.

Deuxièmement, plusieurs articles amènent le lecteur à relativiser les conditions théoriques habituellement invoquées pour que l’endettement des États soit possible. Ainsi, Agnès Labye montre combien le contexte actuel est paradoxal. D’un côté, la dette accumulée n’a jamais été aussi forte et devrait refroidir les acheteurs. De l’autre, les taux directeurs faibles actuels pratiqués par les Banques Centrales européenne et américaine et les nouvelles régulations imposées aux banques (qui les obligent à détenir une plus forte proportion d’actifs sans risque) profitent aux titres de dette publique qui trouvent facilement des acquéreurs. De même, Jean-Pierre Allégret revient sur le cas argentin où un défaut de paiement à destination des obligataires non-résidents ne s’est pas accompagné d’une sanction des marchés comme la théorie le prévoit. Au contraire, l’expérience a montré que la croissance économique a pu reprendre et que la restructuration de la dette s’est faite par la suite à des taux d’intérêt plus avantageux. Jacques Sapir évoque l’expérience du défaut de paiement de la dette russe de la fin des années 1990. La sanction des marchés s’est révélée bénéfique dans cette économie en transition. Les investisseurs résidents ne voulant plus prêter à l’Etat, cela a permis notamment un recyclage des capitaux vers les investissements productifs. La dévaluation qui avait accompagné le défaut qui est perçue habituellement comme une sanction liée à la fuite des capitaux a permis un remplacement des exportations par des produits nationaux et un retour de la croissance en Russie. On voit l’attention des rédacteurs à confronter théorie et empirie.

Troisièmement, plusieurs contributions appelant à un recul historique sont présentes. Julien Duval retrace l’historique de la construction du problème public de la dette : les premiers discours à son propos, le vocabulaire qui s’est imposé, les effets de vertige que peuvent provoquer la citation décontextualisée des chiffres de la dette (en milliers de milliards d’euros) et enfin le contexte idéologique dans lequel émerge le sujet de la dette dans l’actualité médiatique et politique. Ainsi, à l’heure où la dette est un signe de faiblesse des États, Christophe Darmangeat donne à voir que, dans l’histoire, l’endettement des États a permis paradoxalement leur affirmation dans leur capacité à faire la guerre ou à se construire comme des États-Providence. C’est l’endettement qui leur a permis de s’affranchir des limites qu’imposait l’égalité des dépenses avec les recettes fiscales.

Un autre axe détermine plusieurs contributions. Réfléchir sur la dette, c’est avant tout réfléchir sur la politique budgétaire et ses effets. Réduire la dette, c’est modifier les dépenses publiques et/ou les prélèvements obligatoires. Cela n’est pas sans conséquence sur la croissance ou sur la répartition de la richesse au sein de la population. Ainsi, pour Henri Sterdyniak les dépenses publiques ne doivent pas être réduites à moins de menacer la croissance économique et de rendre plus difficile la perception de recettes fiscales nécessaires au remboursement de la dette. Il propose un programme alternatif audacieux pour renouer avec la croissance et limiter le recours à l’endettement quand Raphaël Espinoza, Atish Ghosh et Jonathan Ostry vont insister sur le fait que le seuil raisonnable de la dette a été franchi par la plupart des États.

Sur la thématique de la redistribution, on pourra lire les articles de Pierre-Yves Cusset ou de Patrick Artus et Isabelle Gravet. Le premier reprend la question de savoir si l’endettement de l’Etat profite aux plus riches lorsque ce sont eux qui détiennent des bons du Trésor. Il démontre que tout dépend du niveau des impôts sur ces riches détenteurs. Si ce niveau faiblit, les ressources fiscales sont plus faibles, les transferts vers les plus pauvres sont moins importants ou obligent à l’emprunt contre intérêt et renforce les inégalités. Le contraire permet une redistribution malgré la dette. Les seconds montrent dans un style très didactique les différents scénarios de réduction de la dette et comment ceux-ci impactent des catégories de population différentes : personnes âgées, ménages à revenus faibles ou élevés, générations futures ou actuelles. On renvoie le lecteur à leur article pour profiter pleinement de leurs démonstrations.

Les articles cités sont ponctués de textes de une à trois pages pour faire un point sur une question en particulier, revenir sur certains évènements ou donner des ordres de grandeur. L’ensemble de la revue s’adresse à des lecteurs ayant eu au moins une initiation à l’économie pour profiter pleinement de son contenu.

Référence électronique

Fabrice Hourlier, « « Faut-il rembourser la dette publique ? », Regards croisés sur l’économie, n° 17, 2016 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2016, mis en ligne le 06 mai 2016, consulté le 17 septembre 2017. URL : http://lectures.revues.org/20741