par Laurène Tran (RCE)

Vers une agence parlementaire d’évaluation

Ces derniers mois, l’évaluation des politiques publiques s’est de nouveau immiscée dans le débat politique. Diverses tribunes portées tant par des parlementaires que des chercheurs en sciences sociales (tels que Bruno Palier, David Thesmar, et Etienne Wasmer — tous anciens contributeurs à Regards Croisés sur l’Economie) plaident pour un renforcement des moyens de contrôle et d’évaluation du Parlement.

Le sujet n’est pas nouveau. La Loi organique relative aux lois de finances (Lolf) de 2001 prévoyait déjà de dépasser la notion de contrôle budgétaire en consacrant celle d’évaluation. Quelle nouveauté dans ces tribunes ? Il est suggéré de constituer une structure sui generis plutôt qu’un nouveau service au sein des assemblées. Dans cet esprit, un document publié la semaine dernière par le président et le rapporteur du groupe de travail sur les moyens de contrôles et d’évaluation de l’Assemblée proposent de créer une “agence parlementaire d’évaluation” (APE).

Le précurseur : le Congressional Budget Office (CBO) américain

Les principes qui guident l’action de “l’agence parlementaire d’évaluation” (APE) ont explicitement inspirés par le Congressional Budget Office (CBO) américain : (i) expertise non partisane, (ii) transparence des méthodes de travail, (iii) relations étroites avec le monde scientifique et universitaire.

En 40 ans, le Congressional Budget Office (CBO) a construit son influence et sa crédibilité en embauchant du personnel légitimé par une “compétence technique”, en décidant que l’organisation ne ferait pas de recommandations politiques au Congrès et en critiquant les propositions présidentielles qui vantent des projections trop optimistes, même dans les cas où le directeur venait du même parti que le président. Par ailleurs, le mandat du CBO restreint son champ à l’évaluation ex ante et en particulier à la question les coûts purement économiques et financiers, plutôt qu’à l’investigation des conséquences sociales, environnementales d’une politique publique.

Alors qu’au Mexique, la Corée du Sud, le Canada ou encore de la Jordanie, les agences équivalentes ont été construites dans le cadre de programmes de coopération bilatéraux menés directement avec le CBO lui­ même, dans le but de répliquer l’organisation, l’APE semblerait plus autonome dans son émergence.

Une agence d’évaluation des politiques publiques indépendante et experte au service du parlement français

D’emblée, l’agence parlementaire d’évaluation (APE) devrait s’adapter aux particularités du contexte institutionnel français dominé par les corps d’inspection ministériels, le Conseil d’État, ou la Cour des comptes. Par ailleurs, deux autres organisations sont déjà officiellement en charge de l’évaluation des politiques publiques: France Stratégie, et le Secrétariat général à la modernisation de l’action publique.

En France, l’APE aurait un champ d’intervention plus large que le CBO américain. Les activités de contrôle et d’évaluation devraient irriguer plusieurs étapes du travail parlementaire à la fois ex ante et ex post.

Les activités de contrôle et d’évaluation à plusieurs stades du travail parlementaire à l’Assemblée Nationale (Barrot et Eliaou, 2018, p.199).

Croiser les regards sur l’évaluation des politiques publiques

En 2011, Etienne Wasmer dans Regards Croisés affirmait:

“Combiner deux approches, ex ante et ex post, apporte plus de force à la diffusion dans le débat public et pour cela croiser les regards est essentiel”.

Le jeudi 28 juin à l’Assemblée Nationale se tenait un colloque sur ce thème. Parmi les intervenants, on retrouve Esther Duflo, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et récipiendaire de la médaille John Bates Clark en 2010 mais aussi des députés et des représentants d’organismes d’évaluation tels que le Conseil d’Analyse Économique, l’Institut des politiques publiques et bien sûr le Congressional Budget Office. Affaire à suivre !

 

Pour aller plus loin :

Références

« Le Parlement doit se doter d’une structure propre d’évaluation des politiques publiques » (février, 2018).

« Pour un débat budgétaire responsable et libéré de l’arbitraire » (avril, 2018).

« Il faut « couper le lien » entre l’exécutif et les agences de notation des politiques publiques» (juin, 2018).

1er rapport du groupe de travail sur les moyens de contrôle et d’évaluation du Parlement (décembre, 2017).

Mieux évaluer pour mieux agir: manifeste pour une évaluation des politiques publiques au service de la transformation de l’action publique (mars, 2018).

Format et compétences d’un organe d’expertise propre au Parlement (mai, 2018).