« Ma conviction est que nous sommes sur le point de connaître les dix années de transformation écologique les plus remarquables de l’histoire » affirmait Rob Hopkins, fondateur du mouvement des villes en transition, le 22 août 2020 dans Le Monde. Justement, il y a à peine plus de dix ans, Regards croisés sur l’économie consacrait un numéro à l’économie et à l’environnement. Dès lors, pourquoi recommencer ?

En 2009, Regards croisés sur l’économie se demandait si « Les économistes [pouvaient] sauver la planète », portant son attention sur le seul problème du réchauffement climatique. Ce dernier était appréhendé comme une externalité négative, et le numéro exposait les divers outils de marché pour l’internaliser.

En 2020, force est de constater que les outils traditionnellement prisés par les économistes ont, pour l’instant, échoué à changer la donne à l’échelle globale. En dix ans, les émissions mondiales de gaz à effet de serre n’ont cessé d’augmenter, le taux d’extinction des espèces a atteint un niveau sans précédent, et une pression toujours plus forte est exercée sur les limites planétaires. Pourquoi les sciences économiques ont-elles jusqu’alors été aussi impuissantes à enrayer la destruction de la nature et du vivant ? Est-ce lié à l’inefficacité des politiques économiques proposées, à une mise en œuvre inadaptée ou au manque de volonté des autorités compétentes ? La capacité des seuls outils de marché (et notamment de la taxe carbone) à répondre aux enjeux environnementaux pose question lorsque ce sont nos modes de vie, de production et de consommation qui sont en cause et qui doivent être modifiés en profondeur. De telles transformations du système économique ne sauraient être apportées par le seul progrès technique et impliquent aussi des innovations politiques et sociales.

Par ailleurs, il faut se demander dans quelle mesure l’économie en tant que discipline académique peut faire sa transition écologique. Parmi les six défis sociétaux listés par le CNRS (le changement climatique, les inégalités éducatives, l’intelligence artificielle, la santé et l’environnement, les territoires du futur et la transition énergétique), quatre se rapportent directement à des questions environnementales. Or, sur 77 000 articles publiés dans les neuf revues les plus influentes de la discipline économique depuis leur création jusqu’à 2019, 57 ont été consacrés au changement climatique, soit moins de 0,1 % (The Conversation). Nicholas Stern et Andrew Oswald en concluent : « Les économistes sont en train de laisser tomber le monde. […] L’histoire jugera sévèrement notre profession.»

S’il s’agit de transformer radicalement le fonctionnement de nos sociétés et de l’économie, la dichotomie entre les « économistes de l’environnement » et les « autres » interroge. Tout économiste, qu’il s’intéresse à la macroéconomie monétaire ou à la microéconomie du travail, ne devrait-il pas avoir à l’esprit les bouleversements environnementaux et l’immense transition écologique à venir, ne serait-ce que lorsqu’il appréhende l’avenir ?

Cécile Bonneau, Marion Clerc et Mathilde Salin.

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Les auteurs

Première partie – Pourquoi une transformation écologique de l’économie ?

Encadré : La transition écologique, de Rob Hopkins au ministère, Étienne de L’Estoile, Julie Oudot

1/ Éthique et justice dans la transition écologique, Entretien avec Catherine Larrère

2/ L’anthropocène est un « accumulocène », Jean-Baptiste Fressoz

Encadré : Les limites planétaires, Cécile Bonneau

3/ Sortir du poubellocène : changer notre rapport aux déchets, Entretien avec Baptiste Monsaingeon

4/ Sortir de l’ornière : Perspectives sur la transition bas-carbone, Entretien avec Céline Guivarch

5/ Comment penser la transition écologique de l’économie ? Les apports des théories co-évolutionniste, de la régulation et de la décroissance, Harold Levrel, Antoine Missemer

Deuxième partie – Comment faire entrer l’économie en transition ?

Encadré : Quotas et taxe : des instruments équivalents ?, Mathieu Sadourny

6/ La taxe carbone et son acceptabilité sociale, Thomas Douenne, Adrien Fabre

7/ Mobiliser la dépense publique pour financer les investissements bas-carbone, Alain Grandjean

8/ Quel rôle pour les banques centrales face aux risques climatiques et autres « Cygnes Verts » ?
Patrick Bolton, Morgan Després, Luiz Awazu Pereira Da Silva, Frédéric Samama, Romain Svartzman

9/ Un État social-écologique pour la transition du bien-être, Éloi Laurent

10/ Hiérarchies monétaires et hiérarchies écologiques : Leçons et perspectives de la crise du COVID-19, Étienne Espagne

Encadré : La « courbe de Kuznets environnementale » et le « découplage » : deux concepts du débat sur la croissance verte, Mathilde Salin

Encadré : La sobriété : indispensable à une transition réussie ?, Galaad Defontaine

Troisième partie – L’économie peut-elle faire face à l’urgence écologique ?

11/ Banques et marchés financiers : quels obstacles à la transition écologique ?, Entretien avec Gael Giraud

12/ Économie et climat : un examen de conscience nécessaire, Antonin Pottier

Encadré :  L’effet-rebond condamne-t-il la transition à l’échec ?, Louis Daumas

13/ Quels impacts distributifs des politiques environnementales ?, Emilien Ravigné

Encadré :  Y-a-t-il des limites à la croissance ? Le « Rapport Meadows » et ses prolongements actuels, Edouard Mien

14/ Est-il trop tard pour la transition ? Le temps de l’urgence climatique, Aurélien Boutaud, Natacha Gondran

15/ Le carbone à la carte ? Rationner plutôt que taxer,  Entretien avec Mathilde Szuba