MARION CLERC ET LOUIS DAUMAS (RCE)
En ces temps troublés, les chercheurs et chercheuses en sciences sociales ont à coeur d’informer, d’expliquer et de proposer des alternatives à partir de leurs recherches. À la fois initiée et désavouée par certains économistes, la réforme des retraites proposée par le gouvernement est en train de devenir le terrain d’une refonte du rôle des chercheur-ses dans le débat public. La revue Regards croisés sur l’économie soutient cette réflexion, et donne la parole à celles et ceux qui, par leur recherche, investissent le débat public, pour l’éclairer. Retours ici sur les interventions de Dominique Méda, Michaël Zemmour et Sabine Montagne à l’Université Paris-Dauphine, 13 janvier 2020

Si le projet de réformes des retraites cristallise les craintes, il a le mérite paradoxal de susciter le débat public autour d’un sujet en apparence technique. Nombre de chercheuses et chercheurs en sciences économiques et sociales se mobilisent pour intervenir dans les médias, publier des tribunes et animer des rencontres dans les universités. Bien que Paris-Dauphine soit plus connue dans le paysage universitaire pour former les futurs cadres de la Défense que pour animer le débat social, l’université a accueilli le 13 janvier une rencontre interdisciplinaire réunissant notamment la sociologue Dominique Méda, l’économiste Michaël Zemmour et la socio-économiste Sabine Montagne (1). Ils éclairent tour à tour différents enjeux du projet de réforme : l’unification du système au nom de l’égalité, le passage d’un système de prestations définies à un système de cotisations définies au nom de l’équilibre budgétaire, et, pour ses promoteurs, la croyance en l’efficacité des marchés pour financer les retraites. Dans ce billet de blog, nous reprenons et mettons en perspective leur argumentation.

Égalité: peut-on unifier le système de retraite français ?

Spécialiste des politiques sociales, la sociologue Dominique Méda (IRISSO, Paris-Dauphine) rappelle dans son intervention comment s’est constitué un système de retraite mosaïque, où coexistent quarante-deux caisses différentes. Le détour historique est crucial et nécessaire, car le morcellement du système des retraites — et l’injustice des inégalités de traitement qui en découleraient — constituent aujourd’hui un des principaux arguments du gouvernement d’Édouard Philippe en faveur de l’instauration d’un régime unique.

La création de l’assurance vieillesse en France s’est faite secteur par secteur. En 1850, des compagnies privées de chemin de fer créent les premières caisses de retraite à destination de leurs employés. Mais l’idée prévaut alors que cela doit rester une initiative des patrons ou des ouvriers, et non une obligation imposée par l’État. La loi de 1905 marque un tournant, car elle institue l’assistance obligatoire aux vieillards les plus démunis — ceux qui n’ont ni épargne, ni famille pour les soutenir. Contrairement aux caisses professionnelles, il n’est pas nécessaire d’avoir cotisé pour en bénéficier : elle relève donc de l’assistance et non de l’assurance. Cinq ans plus tard, la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes vise à créer une assurance retraite par capitalisation à adhésion obligatoire. Elles ne survivent pas à la mobilisation des travailleurs pendant la Première Guerre mondiale et à l’inflation qui suit le conflit.

Suite sur le blog Alternatives Economiques de RCE