Gabriel Zucman est économiste à l’Université de Berkeley, co-fondateur de la World Inequality Database, spécialiste des questions de redistribution et d’évasion fiscale. Ses travaux sont reconnus mondialement et ses idées inspirent de nombreux acteurs de la société civile et des personnalités politiques et ouvrent la voie vers une société plus juste…
Regards croisés sur l’économie : Quelles grandes transformations contemporaines observe-t-on dans la répartition de l’argent, entre les citoyens, entre les pays, entre les institutions et entre les gouvernements ?
Gabriel Zucman : Le grand changement c’est l’augmentation des inégalités de fortune, qui est un phénomène qu’on observe dans la plupart des pays à un rythme différent, plus fort et plus rapide aux États-Unis, un peu plus lent en Europe continentale, extrêmement fort et extrêmement rapide dans un certain nombre de pays ex-communistes tels que la Russie ou la Chine, qui sont en transition vers l’économie de marché.
C’est une rupture fondamentale par rapport aux décennies d’après-guerre où les inégalités de patrimoine avaient atteint un niveau historiquement bas. Concrètement, les 1 % de ménages les plus fortunés aux États-Unis possèdent 40 % de la richesse privée totale, un niveau quasiment comparable à celui observé au début du XXème siècle, alors qu’ils n’en possédaient que 20 % à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Dans le cas de l’Europe continentale, ce n’est pas aussi dramatique : la concentration des patrimoines reste aujourd’hui plus faible que celle observée il y a un siècle pendant la Belle Époque en France ou dans l’Angleterre victorienne du XVIIème siècle. On observe cependant une tendance à la hausse dans les deux cas, ce qui est le premier changement fondamental.