Plafond de verre, salaires moindres, emploi à temps partiel subi… Difficile d’échapper à ce triste constat : les inégalités entre les sexes demeurent, encore et toujours, un fait structurant de nos sociétés modernes. Les dernières études de l’Insee en attestent avec force : les femmes occupent, en 2010, 62 % des emplois non qualifiés, 51 % des professions intermédiaires et seulement 39 % des emplois de cadres.

Comment l’expliquer ? Certainement pas par des différences de niveau de qualification : la durée d’étude des filles s’est allongée tout au long du second vingtième siècle si bien, qu’aujourd’hui, elle dépasse celle des garçons. C’est sur ce paradoxe que se sont penchés, avec distance et minutie, les contributeurs de ce numéro exceptionnel, pour enfin parvenir à l’égalité entre les sexes. Économistes et sociologues font ici toute la lumière sur les mécanismes invisibles mais puissants qui génèrent les inégalités : attentes inférieures des enseignants vis-à-vis des filles, attitudes discriminatoires des employeurs, partage inégal des tâches domestiques, autocensure des femmes dans les choix de carrière, etc.

La preuve de l’inégalité entre hommes et femmes n’est pas choses aisée, elle requiert du temps, de la patience, le respect de méthodologies rigoureuses. En quarante ans, les études sur le genre n’ont pas fini d’explorer toutes les logiques, toutes les déclinaisons de la construction sociale des sexes. Faire de l’économie pour le genre, c’est donc utiliser tout un panel de méthodologies, des raisonnements théoriques aux analyses empiriques, afin de mettre à jour les inégalités de sexes qui nous entourent et passent à travers nous.

Le genre n’est pas un champ d’études à part. Il s’insère au sein des disciplines, déstabilisant les présupposés, ouvrant des nouvelles pistes de recherche. Dans ce numéro, il s’agit de jeter des regards croisés sur l’économie depuis les études sur le genre. Cela signifie, par exemple, intégrer les socialisations différenciées dans l’explication de la ségrégation du marché du travail ou dans la prise en compte des différences de comportements, analyser comment les préférences sont socialement construites, voir l’exploitation patriarcale derrière l’optimisation des ressources du ménage, ou encore mettre à jour les contraintes normatives et institutionnelles qui pèsent sur les choix de vie des femmes. Le croisement des disciplines et la multiplication d’études convergentes mettent à bas l’argument des ennemis des études sur le genre comme quoi tout ne serait qu’affaire d’idéologie sans fondements. À la bourrasque réactionnaire, nous opposons le travail minutieux des chercheurs et chercheuses qui rappellent chaque fois plus fort la prégnance des inégalités entre les sexes, en particulier dans la sphère économique. Faire de l’économie avec le genre, c’est montrer que les différences de conditions de vie matérielles et de positions dans le système productif constituent un aspect fondamental des inégalités entre les sexes.

Ce numéro a pour objectif de marteler les faits, de pointer les incohérences des dispositifs, de mettre côte à côte idéaux et situations concrètes, afin de les unir dans des politiques publiques audacieuses. Il faut commencer par s’attaquer aux racines des inégalités dès l’enfance en luttant contre les stéréotypes à l’école qui mènent à une répartition inégale entre les différentes disciplines et à l’orientation des filles vers les filières les moins prestigieuses. Mais c’est aussi tout notre système de politique publique qu’il faut repenser. Des politiques fiscales comme l’impôt sur le revenu, ou sociales comme le Revenu de solidarité active, apparemment neutres vis-à-vis du genre, ont en réalité pour effet pervers d’être très défavorables aux femmes. L’égalité entre les sexes passe par la réforme de ces systèmes dommageables. Surtout, nous avons construit ce numéro afin que chacune et chacun puisse proposer sereinement les preuves de l’inégalité, aligner les mécanismes complexes qui la produisent, répéter encore, clarifier toujours, afin d’abolir, peu à peu, les inégalités entre les sexes.

Les auteurs

Genre et théorie économique – Fatiha Talahite

L’économie féministe – Christine Delphy

L’approche intégrée du genre dans l’élaboration des politiques socio-économiques – Annie Cornet

L’école, premier vecteur de la ségrégation professionnelle ? – Marie Duru-Bellat

Pourquoi y a-t-il si peu de femmes en science ? – Thomas Breda

Où en est-on de la ségrégation professionnelle ? – Séverine Lemière, Rachel Silvera

Le difficile accès des femmes aux emplois les mieux rémunérés : mécanismes et mesure – Laurent Gobillon, Dominique Meurs, Sébastien Roux

Le monde universitaire, un laboratoire d’analyse des différences d’avancement de carrière des hommes et des femmes – Clément Bosquet, Pierre-Philippe Combes, Cecilia García-Peñalosa

Des femmes et des réseaux : mentoring et réseaux affinitaires au service de l’égalité – Maria Giuseppina Bruna, Mathieu Chauvet

L’inégal partage des responsabilités familiales et domestiques est toujours d’actualité – Marta Dominguez Folgueras

Quels effets des enfants sur les rémunérations et carrières des mères ? – Dominique Meurs, Ariane Pailhé, Sophie Ponthieux

Genre et marché du travail : les apports de l’approche expérimentale – Ghazala Azmat, Barbara Petrongolo

Le partage entre emploi et famille et entre femmes et hommes : Une question de politiques… – Séverine Lemière

L’aide aux personnes âgées n’est-elle qu’une affaire de femmes ? – Solène Billaud, Agnès Gramain

Comment le manque de femmes en Chine peut-il expliquer le niveau très élevé de l’épargne des ménages chinois ? – Romain La Farguette

Invisibiliser et éloigner : quelques tendances des politiques de la prostitution – Lilian Mathieu

L’empowerment des femmes dans les politiques de développement : Histoire d’une institutionnalisation controversée – Anne-Emmanuèle Calvès

Care et travail du care dans une perspective comparative : Brésil, France, Japon – Nadya Araujo Guimarães, Helena Sumiko Hirata, Kurumi Sugita

Ce que le genre fait à l’analyse de la mondialisation néolibérale : L’ombre portée des systèmes militaro-industriels sur les « femmes globales » – Jules Falquet